Les priorités climatiques de Bill Gates sont meilleures que ses ‘vérités’

Un retour sur notre message de la semaine dernière : notre campagne en faveur de Label Transmission se développe : n’hésitez pas à signer notre appel aux côtés d’un nombre croissant de spécialistes ! (ICI)

L’actualité de cette semaine c’est la COP de Belem et la polémique suscitée par les ‘vérités’ de Bill Gates. Nous vous en donnons un commentaire aussi équilibré que possible, bonne lecture.

Les bénévoles de Carbones sur factures

Les priorités climatiques de Bill Gates sont meilleures que ses ‘vérités’

Résumé : Bill Gates publie trois ‘vérités’ sur le climat qui ont un air de vérités alternatives trumpistes. Une lecture attentive dévoile trois vérités plus satisfaisantes. 1) L’échec collectif à limiter la hausse à 1,5° en 2050 oblige à tabler sur une hausse de 2,5 à 3° en 2100, donc des souffrances en plus. Ce n’est pas la fin de la civilisation, si les bonnes décisions sont prises. 2) L’échec impose des arbitrages compliqués : plus de moyens (donc d’émission) à allouer à l’adaptation, cela signifie des moyens en baisse mais des besoins en hausse pour l’atténuation. 3) Donc un risque accru d’oublier l’accès des plus faibles à l’adaptation, à la santé et à la prospérité.

Bill Gates tire du rendez-vous raté de 2050 la vraie priorité : pour terminer à temps ce chantier, l’humanité doit se doter de mesures pertinentes. C’est la priorité que défend Carbones sur factures : avoir le contenu carbone du produit à côté du prix et le rendement carbone du financement à côté du rendement monétaire. Bill Gates défend sa mesure, la ‘Prime Verte’. Elle ne suffira, ni pour les produits, ni pour les financements, faute de prendre en compte les émissions, le temps et les besoins.

En 2021, Bill Gates avait écrit un livre retentissant : Climat, comment éviter un désastre

Son premier chapitre décrivait les souffrances à venir si l’humanité ne limitait pas ses émissions de Gaz à effet de serre (GES) de façon à ne pas dépasser une hausse des températures moyennes de 1,5° en 2050. Il annonçait des souffrances plus que proportionnelles à la hausse, à cause des phénomènes climatiques extrêmes. Passer de 1,5° à 2° ne serait pas, disait-il, un tiers de souffrance en plus mais 100% : chaque dixième de degré compte. 

Le livre développait la solution de Bill Gates : investir dans la technologie. Mettre au point sur chaque besoin une offre zéro émission de GES au même prix ou moins cher que ses concurrentes : ce qu’il appelle une offre à Prime Verte nulle (zero Green Premium). Une absence frappait dans sa solution, celle de la Nature. Le besoin de Nature est pourtant reconnu comme vital par une grande part de l’humanité et par l’ensemble de la communauté scientifique (pour ses captures de GES). L’optimisme étonnait aussi : aucun grand besoin humain (santé, alimentation, logement…) n’était à Prime Verte nulle en 2021. Tous pourraient-ils l’être en 2050 ?

Quatre ans après, Bill Gates écrit ses « trois dures vérités sur le climat »

Bill Gates veut que le monde partage ses ‘vérités’ et d’abord les participants à la réunion climatique annuelle de Belem (COP 30).(https://www.gatesnotes.com/home/home-page-topic/reader/three-tough-truths-about-climate). Leur formulation plonge le lecteur de 2021 dans la perplexité.

Vérité n°1 : Le changement climatique est un problème important, pas la fin de la civilisation.

Bill Gates affirme que l’humanité n’arrivera pas à limiter la hausse à 1,5° en 2050. ‘Le consensus’ dit-il envisage désormais 2,5 à 3° en 2100, principalement à cause d’un plus que doublement de la consommation d’énergie d’ici 2050.

Pour autant, Bill Gates ne modifie pas son diagnostic de 2021 sur la hausse de souffrance associée à un dérapage au-dessus de 1,5° en 2050. Il le présente simplement de façon rassurante : « L’Iowa commencera à se sentir plus comme le Texas. Le Texas commencera à se sentir plus comme le nord du Mexique. Bien qu’il y ait une migration climatique, la plupart des gens dans les pays près de l’équateur ne seront pas en mesure de se relocaliser. »

La vérité tirée de sa propre présentation est donc plutôt : L’échec collectif à limiter la hausse à 1,5° en 2050 oblige à tabler sur une hausse de 2,5 à 3° en 2100, donc des souffrances en plus. Ce n’est pas la fin de la civilisation si les bonnes décisions sont prises.

Vérité n°2 : La température n’est pas le meilleur moyen de mesurer nos progrès sur le climat

Bill Gates poursuit : « La température mondiale ne nous dit rien sur la qualité de la vie des gens. » Et il enchaine : « Si les sécheresses détruisent vos récoltes, pouvez-vous toujours vous permettre de manger? Quand il y a une vague de chaleur extrême, pouvez-vous aller quelque part avec la climatisation? Lorsqu’une inondation provoque une épidémie de maladie, la clinique de santé locale peut-elle traiter tous ceux qui sont malades ? » Il est faux d’affirmer que la température ne dit rien de la qualité de vie des gens : lui-même reconnait ce lien au point précédent. Il est juste de dire que les conséquences réelles sont terriblement différentes selon les personnes. Il y a depuis le départ deux objectifs face aux émissions de GES : les réduire à zéro (en langage diplomatique : l’atténuation) avec une mesure universelle qui est la limitation de la moyenne de température ; et maintenir à chacun une qualité de vie acceptable jusqu’à la fin de la transition, quand les conséquences négatives seront maximales (en langage diplomatique : l’adaptation).

La vérité correspondant à sa propre présentation est donc : L’échec impose des arbitrages compliqués : plus de moyens (donc plus d’émission) à prévoir pour l’adaptation signifie des moyens en baisse et des besoins en hausse pour l’atténuation.

Vérité 3 – La santé et la prospérité sont la meilleure défense contre le changement climatique

Bill Gates s’appuie sur une étude qui montre que « la croissance économique anticipée pour les pays pauvres réduira les décès climatiques de moitié. Une croissance plus rapide et plus expansive réduira encore plus les décès. Et la croissance économique est étroitement liée à la santé publique. Ainsi, plus les gens deviennent prospères et en bonne santé, plus nous pouvons sauver des vies. »

Sans doute en effet la croissance du PIB mondial est-elle bonne pour la santé et la prospérité, y compris celles des pays pauvres. Mais il ne démontre pas que la croissance réduit les émissions. Ni que la prospérité réduit les émissions puisqu’il explique au contraire qu’un habitant des pays riches consomme 50 fois plus d’énergie qu’un habitant de pays pauvre : leurs réserves respectives pour s’adapter aux souffrances qui s’annoncent sont aux antipodes.

La vérité correspondant à sa propre présentation est en fait : L’échec signifie un risque accru d’oublier dans nos arbitrages l’accès des plus faibles à l’adaptation, à la santé et à la prospérité.

Au total, le texte semble écrit par deux personnes différentes : l’une pour les « vérités », l’autre pour le reste. Soit Bill Gates est dissocié, soit nous lisons un compromis entre ses thèses et les « vérités » alternatives trumpistes.

Les priorités de Bill Gates

Bill Gates tire du rendez-vous raté de 2050 la vraie priorité : pour terminer à temps ce chantier, l’humanité doit se doter d’outils de mesure pertinents. Il demande d’amener à zéro la Prime Verte des principaux produits et de mesurer sur elle le rendement de chaque financement. Mais la Prime Verte n’y suffira pas, ni pour les produits, ni pour les financements. Ses limites de 2021 se sont aggravées en 2025.

Ne pas oublier les émissions

L’optimisme extrême de l’objectif d’une Prime verte nulle était un problème de la « méthode Bill Gates 2021 ». Il le masque en 2025 en retirant l’objectif zéro émission de la Prime verte nulle (il le réserve désormais à un nouveau concept : la Prime verte nulle ‘nette’). Du coup, Prime verte nulle signifie seulement qu’un produit n’est pas plus cher que ses concurrents bruns : c’est un argument commercial mais l’impact du produit sur les émissions disparait de la mesure quand c’est le cœur du problème. Pour combler cette lacune, il faut suivre le couple : prix du produit, contenu en émission du produit, un contenu désormais facile à calculer rigoureusement avec la comptabilité carbone cumulative assise sur les chiffres comptables. On suit la double compétitivité du produit en argent ET en émission que Bill Gates appelle de ses vœux et qui était derrière la Prime verte initiale.  Bill Gates pourrait mettre sa notoriété au service du déploiement de la bonne pratique Label Transmission : calculer et transmettre le contenu carbone de ses produits à ses clients, avec le prix.

Ne pas oublier le temps

La seconde lacune de la Prime verte nulle est d’ignorer le temps. Cette lacune n’est pas propre à son indicateur : les mesures carbone actuelles ignorent le temps. C’est une explication de l’échéance ratée de 2050, et du risque de rater les échéances suivantes. Cela alors que les GES augmentent avec le temps les souffrances humaines et l’affaiblissement des captures de la Nature. Intégrer le temps est indispensable au second objectif de Bill Gates : flécher la finance vers les rendements verts. Ignorer le temps, c’est déresponsabiliser la finance dont le premier rôle est la prise en compte optimale du temps dans les décisions. L’épargnant, l’investisseur, le financier n’ont toujours pas une mesure quantitative du rendement en émission de chaque financement proposé (seulement parfois des couleurs, vert ou brun). Le suivi de la compétitivité carbone des produits donne celle des productions et leur gain ou perte carbone : donc leur rendement carbone et celui de leur financement. C’est le calcul qu’attend Bill Gates.

Ne pas oublier les besoins

La troisième faiblesse de la prime verte est de raisonner en production et pas en besoin : elle parle d’agriculture, pas d’alimentation. De béton, pas de logement. Or la prospérité se mesure en calories alimentaires et en mètres carrés de logement. L’échéance ratée de 2050 menace l’accès des plus faibles à des besoins très concrets. C’est en calculant rigoureusement les doubles performances des produits et des financements pour chaque grand besoin humain qu’on peut s’assurer, année après année, que nos arbitrages ne conduisent pas les plus fragiles dans le mur.