Lettre n°3 Carbones Sur Factures

15 février 2023

(la lettre du collectif Carbones Sur Factures)

CSF est un collectif ouvert de femmes et d’hommes, entrepreneurs, associatifs, informaticiens, universitaires, fonctionnaires, comptables, élus, financiers…

Objectif : Associer facilement et rapidement son poids réel en carbones à chacun des centaines de millions de produits et de services que nous échangeons en continu. La condition d’une mobilisation générale pour décarboner la planète.

Ce collectif construit les deux leviers d’une innovation majeure pour décarboner la planète :

    • Un protocole et des outils gratuits permettant à une organisation Précurseur de calculer facilement le poids en carbones de ses produits ou services, pour piloter sa compétitivité climatique
    • Une bonne pratique collaborative : mettre « ses carbones sur ses factures », vérifiés par des comptes en carbones, en indiquant le poids du produit à côté du prix

Le projet de protocole est en ligne depuis le 2 janvier  avec une nouvelle version tous les 2 ou 3 jours alimentée par les discussions au sein du collectif. Nous avons choisi dans cette lettre d’illustrer comment il clarifie déjà énormément de choses en distinguant carbones réels et carbones financiers, à partir d’un nouveau scandale qui vient d’éclabousser la finance carbone.

Un consortium de journalistes (du Guardian, de Die Zeit et de SourceMaterial) vient de révéler que plus de 90% des crédits carbone certifiés par l’un des principaux standards « verts » privés mondiaux n’auront pas d’impact sur les émissions de carbones, contrairement à leur prétention. Il y a malheureusement beaucoup de faussaires dans la finance verte et c’est dramatique pour l’objectif collectif de décarbonation.

 

Le cœur du problème : mieux compter les carbones

Plutôt que de dénoncer les faussaires, notre initiative Carbones Sur Factures (CSF) s’intéresse à la raison de ces fraudes. Nos travaux confirment que la première raison est le flou des règles de comptage actuel des carbones : un comptage qu’on appelle parfois « comptabilité carbone » mais qui n’a strictement rien pour l’instant d’une comptabilité. La mobilisation pour la décarbonation est impossible sans de bonnes pratiques simples sur la façon de compter les carbones, selon ce qu’ils mesurent.

 

Carbones réels et carbones financiers

 

    • Un kilo de carbone réel mesure le poids en carbones d’un produit ou d’un service : si je suis une société de conseil, le poids de ma journée de conseil en carbones réels contiendra le poids des carbones réels du chauffage de mes bureaux, du trajet pour aller chez mon client, de mon ordinateur… C’est ce poids qui va me permettre de travailler ma compétitivité climatique et qui aidera mon client (si je lui passe le poids sur ma facture) à améliorer la sienne.
    • Un carbone financier se compte aussi en kg d’équivalent CO2 mais il mesure une chose très différente : la performance d’un instrument financier (une action, un crédit), c’est-à-dire son niveau de risque et son rendement carbone.

Comme acheteur, je veux les vrais poids en carbones du service proposé, et donc, bonne pratique numéro 1 : ne pas fausser les poids réels des produits et services par des carbones financiers.
Comme épargnant ou investisseur, je veux aussi le risque et le rendement de mon placement mesuré en carbones financiers et le protocole devra dire comment les compter.

 

Quand les carbones financiers masquent les carbones réels

Revenons au scandale des crédits carbone (parfois qualifiés de « volontaires » ou de « gris » pour les distinguer des crédits carbones réglementés). Invention de la finance verte, ils ont représenté plus de 60 milliards de dollars d’émission l’année dernière. Un crédit carbone est un carbone financier. Une grande entreprise, par exemple Google, paye l’entretien d’une forêt. Cet entretien est censé améliorer d’un certain poids le captage de carbone par la forêt. Ces carbones (réels) bénéficient au propriétaire de la forêt quand il compte les carbones (réels) du bois qu’il vend. Ils vont aussi être attribués comme carbones (financiers) à Google comme « reconnaissance » de son aide à l’entretien. Dans le flou actuel des règles de comptage, Google réduit le poids en carbones (réels) de ses centres informatiques par ces carbones (financiers). En supposant que l’amélioration du captage soit réelle (raison du scandale) la controverse fait rage pour savoir si cette compensation est admissible au niveau de Google (en gros, le GIEC est contre, les « fabricants » de crédits carbones sont pour). Mais une chose est sûre : ces carbones financiers ne doivent pas brouiller les carbones réels. Si le poids réel de l’hébergement informatique de Google est plus élevé qu’un hébergement concurrent, les clients doivent le savoir. La « compensation » des crédits carbones au niveau d’un produit ou d’un service viole la bonne pratique numéro 1, elle fausse les poids réels en compensant des carbones réels avec des carbones financiers.