Vers une démocratie du carbone
Lettre N°6 – 26 juin 2023
Notre lettre CSF numéro 5 a présenté comment la comptabilité des carbones donnait une mesure fiable du résultat de décarbonation d’une entreprise. Cette mesure peut être étendue aux projets de transport et leur associer leur résultat de décarbonation. Pour éclairer les débats qui tournent vite à la polémique, récemment sur le projet d’autoroute entre Toulouse et Castres, mais cela vaut pour la ligne TGV entre Lyon et Turin, CSF appelle les collectivités publiques à une démocratie du carbone qui associe à chaque projet son résultat de décarbonation à côté de son résultat en euros, et assure la double cohérence budgétaire, en euros et en carbones.
Des polémiques qui affaiblissent la démocratie
Le défi climatique nous oblige à tout reconstruire, ou presque, en respectant nos engagements climatiques. C’est particulièrement nécessaire pour les équipements de transport qui concentrent des polémiques violentes. Elles affaiblissent doublement la démocratie, en donnant le sentiment d’un dialogue de sourds (les uns parlent argent, les autres carbones), et d’une absence de cohérence politique : les engagements globaux à réduire de 6% par an nos émissions paraissent contradictoires avec des décisions brunes sur le terrain. Comment prendre les bonnes décisions avec le minimum de disputes, de délais et de carbones ?
Bonne nouvelle : la comptabilité des carbones permet un débat carbone parallèle au débat monétaire
Les débats sur les décisions d’équipement s’organisent en deux phases : on calcule ce que coûte ou rapporte l’équipement en argent sur toute sa durée de vie ; et on fait rentrer les différents projets dans l’enveloppe des moyens monétaires disponibles, le budget. On peut désormais faire la même chose en carbones, grâce à la comptabilité des carbones construite par l’initiative Carbones Sur Factures : elle permet d’avoir à côté de chaque valeur monétaire son équivalent en carbones. La comptabilité des carbones donne à un projet son gain ou sa perte en décarbonation, et faire rentrer les projets dans un budget de décarbonation pour vérifier qu’ils respectent les engagements politiques. Ce sont deux améliorations majeures pour le débat démocratique.
On respecte la première condition d’un débat démocratique : parler de la même chose
On peut donc avoir sur n’importe quel projet de transport (un nouveau plan de circulation, une liaison TGV, une autoroute…) à la fois son résultat monétaire (gain ou perte) et son résultat de décarbonation (gain ou perte) et donc débattre en même temps des carbones et des euros. En pesant les deux résultats avec les mêmes hypothèses (sur l’utilisation des différents moyens de transport notamment) on peut nouer un vrai dialogue. On verra concrètement que :
- Des projets de transport rapportent des carbones (un nouveau plan de circulation)
- Des projets en coûtent d’abord en équipement et en rapportent ensuite, parce qu’ils remplacent un équipement plus gourmand en carbones de fonctionnement, ou qu’ils aident des personnes ou des entreprises à améliorer leur propre résultat de décarbonation
- Des projets sont bruns à la fois à la construction et au fonctionnement (cas d’une nouvelle autoroute) mais peuvent faire valoir des arguments d’équité climatique car les territoires sont touchés de façon très inégale (voir le rapport du Shift Project sur ce thème ou les arguments des défenseurs de l’autoroute entre Castres et Toulouse portant sur le désenclavement).
On respecte la seconde condition d’un débat démocratique, d’encadrer les promesses politiques dans un cadre budgétaire
On sait depuis longtemps le danger pour la démocratie des promesses politiques non tenues du type « demain on décarbone gratis ». La comptabilité des carbones permet de traduire les engagements politiques de décarbonation en contrainte budgétaire, avec d’un côté ce que coûtent ou rapportent les projets en carbones et de l’autre l’engagement politique de décarbonation : sur un an, d’ici 2030 ou d’ici 2050. On étend au climat l’instrument clé du contrôle des citoyens sur les politiques : c’est autour du budget et de sa trajectoire (dans les programmes politiques, les lois programmes, les travaux de planification) que s’organise le débat politique.
Un double budget en euros et en carbones économisés est l’aboutissement logique de trente années d’efforts pour prendre en compte le climat dans les décisions politiques. Cette double contrainte crée une double responsabilité politique de respect des enveloppes monétaires ET des enveloppes de carbones. C’est cette double responsabilité à laquelle appellent les jeunes qui défilent pour le climat. Le rôle de la politique est valorisé.
Déployer le double budget à tous les niveaux de décision
Le double budget, sur le territoire français et en Europe, est une révolution démocratique indispensable et possible. Au cours des mois qui viennent, nous allons développer nos actions en ce sens, aider les collectivités intéressées à le mettre en place, et demander aux pouvoirs publics qu’elles donnent l’exemple, au niveau du Parlement et de l’exécutif.