2050 : Succès de la Trajectoire climatique française !

Cet article est d’abord paru en trois fois sur Reconcilions-nous.fr, les 13 juin, 20 juin et 27 juin 2022.

Comment retirer de l’atmosphère les gaz à effet de serre qui détraquent le climat (qu’on mesure par leur équivalent en gaz carbonique ou “carbone”). Dans notre numéro sur la dernière convention Climat à Glasgow nous disions qu’elle marchait comme un conseil de classe où les dirigeants amenaient leur carnet de note. Le problème est qu’il n’y a pas de notes sur les carnets parce qu’on ne note pas de façon commune et fiable les performances en carbone des produits, des entreprises, des administrations, des pays… Notre intuition ? L’équilibre climatique en 2050 impose de compter aussi bien le carbone qu’on compte l’argent, et c’est très possible! Pour partager cette intuition, nous racontons dans ce numéro et les deux suivants une histoire: une anticipation qui regarde notre époque depuis 2050. Si ce clin d’œil vous accroche rejoignez celles et ceux qui travaillent déjà sur cet ambitieux projet.

Comment tout a commencé 

 

-Bienvenue sur ce chat. Dimanche, c’était officiel : la France est à l’équilibre climatique ! Pour cette date historique, nous avons la chance d’avoir avec nous Irina qui, chacun le sait, a tout déclenché en inventant il y a presque 30 ans la Comptabilité Climat Universelle. Irina, peux-tu nous dire comment cette idée t’est venue ?

-Je n’ai rien inventé ! Cela faisait déjà des années qu’on savait qu’il fallait réduire avant 2050 les tonnes de gaz carbonique allant dans l’atmosphère et on savait même de combien. Des années aussi que les grandes entreprises comptaient ces tonnes dans des bilans carbone…

-Y compris celle qui t’employait comme comptable !

-Bien sûr, elle fabriquait déjà des yogourts. Mon illumination est venue un jour de profonde déprime. Je m’en souviens très bien, je venais de faire mon bilan carbone sur le site de l’ADEME : j’avais vu d’où venaient « mes » 11 tonnes de carbone annuelles, celles dont j’étais responsable et on m’invitait à tester ce que je pouvais gagner, en changeant différentes choses dans ma vie.

-Et c’était déprimant ?

-Complètement ! En vivant comme une Amish, je descendais de 11 tonnes à 9 tonnes, quand il fallait être à 2 tonnes ! Je carburais au yogourt à l’époque: frigo vide, je descends m’en acheter, et au supermarché, je trouve trois marques avec leur prix en euro mais impossible de savoir leur coût en carbone, alors que je savais bien que je le calculais au boulot.

 

    • L’affichage carbone, ça marche même s’il y a des sceptiques

-Il n’y avait pas d’affichage des coûts en carbone ?

-Tu es trop jeune pour t’en souvenir, mais au début des années 20 il n’y avait rien ! Et là, j’ai eu un déclic: si on arrivait à afficher le coût en carbone jusqu’au client final, ce serait un pas gigantesque vers l’équilibre climatique.

-Qu’est-ce qui te rendait si sûre ? Il y avait encore beaucoup de climatosceptiques, non ?

-Surtout des climato-indifférents ! Mais si tu es une entreprise, à la minute où tu apprends qu’on va afficher aux clients les coûts en carbone, tu demandes à tes ingénieurs et à tes fournisseurs d’innover pour les réduire. Tu demandes aussi à tes commerciaux de revoir leurs argumentaires. A prix égal, les clients sensibles au défi climatique vont préférer le plus efficace en carbone, et c’est des euros en plus ou en moins pour l’entreprise.

-Et ça a marché bien au-delà de ce dont tu rêvais ! Tu me racontais avant l’émission l’histoire de la gourde…

-Oui, le lendemain de l’affichage des coûts carbone, les primes “gratuites” ont disparu ! La gourde écologique offerte n’était plus cool s’il fallait afficher au client son coût en carbone, gonflé à l’inox chinois chauffé au charbon !

-Et comment ces coûts ont pu se mettre en place en trois ans ?

 

    • Suivre les carbones, du puits pétrolier jusqu’au particulier

-Parce qu’on a utilisé les comptables, ces petits elfes invisibles qui comptent les coûts en euros à partir des factures. Les comptables allaient permettre à l’humanité de relever le défi climatique en comptant aussi les coûts carbone au kilo de CO2 près, avec leur précision bien connue.

-Belle mission !

-Oui, et mission relativement simple. Dans la majorité des cas, le comptable n’a eu qu’à additionner les coûts carbone sur les factures de ses fournisseurs, et à diviser le total par ses ventes. S’il récupère 2 millions de carbones et vend 1 million d’euros, les produits de l’entreprise contiennent 2 carbones par euro, et c’est ça qu’elle va mettre sur ses factures, ses clients vont faire pareil, jusqu’à l’acheteur de yogourt !

-C’est tout ?

-Presque… Certaines entreprises sont des producteurs primaires de carbone, en plus ou en moins : les pétroliers, les éleveurs, les gérant d’espaces naturels, les producteurs de certains procédés industriels… Pour elles, le comptable a validé que l’entreprise utilisait une règle GIEC pour calculer ses carbones en fonction du nombre de barils de pétrole ou de vaches. Mais on a réutilisé tout ce qui existait déjà, en rajoutant un chiffre carbone dans les chaînes informatiques.

-Et les carbones ont coulé gentiment du puits de pétrole jusqu’au client.

-Oui, il a seulement fallu attendre que les coûts arrivent en bout de chaîne, comme quand on amorce une pompe, pour afficher les coûts aux particuliers, mais partout dans le monde toutes les entreprises étaient passées à la vitesse supérieure.

-Merci Irina. Les coûts carbone ont été un beau succès en permettant à chacun de faire entendre ses choix carbone aux producteurs. La semaine prochaine tu nous parles d’un second succès de la comptabilité carbone : le calcul précis des performances carbone, qui a permis à la finance de concilier performances en carbone et performances en argent.

 

Et la finance fut verte

    •  Pas de transition climatique sans finance climatique

-Bienvenue à nouveau Irina. Tu nous as raconté la révolution de la Comptabilité Carbone Universelle que tu as déclenchée au début des années 2020. L’arrivée d’un contenu carbone pour chaque produit a permis aux consommateurs d’orienter la production vers la transition climatique par leurs achats. Mais ça ne suffisait pas…

-En effet : les consommateurs construisent le monde d’aujourd’hui mais les financiers construisent celui de demain. Les scientifiques, les ingénieurs peuvent avoir des idées géniales pour le climat, les seuls projets qui verront le jour sont ceux acceptés par les financiers. Dans les années 20, les financiers s’appuyaient sur UN chiffre pour sélectionner un bon projet : ce qu’il rapportait en argent, ses résultats financiers.

-Ils ne s’intéressaient pas au climat ?

-Ils en parlaient beaucoup mais ne savaient pas le mesurer. Ils n’avaient aucun chiffre fiable pour comparer deux projets, deux entreprises, deux crédits sur leur contribution à l’équilibre climatique. Alors ils faisaient de la com’, des belles photos, des labels verts. Le greenwashing était roi…

 

    • La fin du greenwashing

-Greenwashing ?

-Oui, le mot a disparu. C’était se faire plus vert qu’on n’est vraiment. La Comptabilité Carbone Universelle a donné une performance carbone aussi précise que la performance financière : la contribution carbone, la contribution de l’entreprise à l’objectif de retrait de carbone de l’atmosphère sur la période. Et d’un coup, le greenwashing des entreprises a disparu…

-Pourquoi ?

-Pourquoi Google aurait-il continué d’investir des millions dans son image verte alors que chaque trimestre le communiqué de ses résultats affichait sa contribution carbone, c’est à dire combien de carbones son activité avait ajouté ou retiré de l’atmosphère. Ou sa contribution était bonne, et c’était inutile d’en dire plus. Ou elle était mauvaise et c’était encore plus inutile ! La Terre entière pouvait mesurer tous les trimestres la contribution carbone de Google, au kilo près !

-Tempête dans les crânes !

-Oui, le risque de réputation était devenu le premier risque de toutes les grandes entreprises de la planète, et la plupart ont découvert que leur contribution carbone était médiocre, et qu’elle n’allait pas s’améliorer toute seule ! Elles ont arrêté d’un coup d’investir dans la com’ verte et mis au contraire le turbo sur les investissements dans des innovations améliorant leur contribution carbone, ou en encourageant leurs clients à adopter des produits moins carbonés . Google comme les autres a dû revoir brutalement le choix des projets financés, mais a réussi à rééquilibrer sa contribution carbone et ses profits financiers…

 

    • La contribution carbone équilibre le profit financier

-Et les financiers qui conseillent les particuliers ?

-Ils se sont vite adaptés pour les placements en actions. La contribution carbone d’une action d’entreprise était celle de l’entreprise et elle marchait comme la résultat financier : universelle, sécurisée par les comptables, facile à calculer sur un portefeuille … et facile à expliquer aux particuliers qui ont vu apparaître la contribution carbone de leurs placements actions à côté du rendement financier. Chacun a pu, comme pour les produits, choisir la meilleure performance carbone, à performance financière équivalente.

-Un formidable appel d’air pour financer l’innovation.

-Oui. C’est à ce moment qu’on a commencé à parler des « puits de carbone », ces start up qui ont attiré des financements gigantesques en diffusant les techniques les plus efficaces pour piéger les carbones, à la manière des puits de carbone naturels, la mer, les forêts… Toute la finance était à la recherche de ce qu’elles offraient : des innovations efficaces, diffusées rapidement grâce à des licences libres, et une remontée de contributions carbones énormes à leurs actionnaires.

 

    • Les banques au service de la performance carbone

-Mais ça ne suffisait pas à rendre la finance verte…

-Et non… Le greenwasing continuait de sévir dans les prêts: chaque banque annonçait verdir ses prêts mais ni elles ni personne n’avait un moyen simple de le vérifier. Je me souviens d’un scandale au début des années 20. Un prêt de plus d’un milliard, labellisé vert par une grande agence américaine : l’heureux labellisé était une chaine de supermarchés dont le produit d’appel était de mettre dans chaque magasin, à Dubaï, à Shangaï, au Caire, une piste de ski intérieure et des pingouins nourris en poisson frais norvégien amené par avion. Tous les grands noms de la banque ont été éclaboussés.

-Et une mesure toute bête tirée de la Comptabilité Carbone Universelle a donné la solution…

-Oui. On a demandé aux banques de “noter” chaque prêt à une entreprise avec sa contribution carbone. On a immédiatement pu évaluer chaque prêt et tous les prêts d’une banque, de trimestre en trimestre. On partageait enfin la même boussole carbone pour tous les prêts de la planète. Le greenwashing a disparu pour Deutsche Bank comme il avait disparu pour Google. Et l’astuce du prêt-pingouin devenait impossible : une entreprise marron ne pouvait plus faire financer par les banques ses projets verts et financer elle-même ses projets marrons.

-Merci beaucoup Irina, c’était passionnant ! La Comptabilité Carbone Universelle a réconcilié la finance et le climat. Tu nous racontes la semaine prochaine comment elle a aussi réconcilié la politique et le climat.

Les politiques se synchronisent

    • Pas de transition climatique réussie sans consensus politique

-Bienvenue Irina. Tu nous as raconté la révolution de la Comptabilité Carbone Universelle, la CCU, que tu as déclenchée au début des années 2020. Particuliers, banques et entreprises ont mesuré leur contribution à l’équilibre climatique, mais ça ne suffisait pas…

-Non, dans les années 20, le thème de la transition était très partisan, entre ceux qui trouvaient qu’on ne faisait pas grand chose, et ceux qui trouvaient qu’on faisait déjà beaucoup trop. La CCU a réconcilié la politique et le climat.

-Qu’est-ce qui a permis ce miracle ?

-Tous les citoyens réclamaient « moins de com et plus de résultats mesurables ! » La CCU l’a permis. L’affichage du contenu carbone des services publics a remplacé la communication greenwashing, comme pour les grandes entreprises, on en avait parlé la semaine dernière. Et ce contenu était en effet devenu aussi facile à calculer pour les services publics que pour les entreprises : il suffisait au comptable public d’additionner les carbones contenus dans les achats publics.

 

    • Le contenu carbone d’une école

-Oui, et l’obligation de publication de l’information publique a fait le reste.

-Exactement ! Chacun a pu comparer facilement l’efficacité carbone par euro de budget de deux villes, de deux régions, ou de deux pays. Ou le contenu en carbone d’une école, sa construction, son entretien, et demander aux élus pourquoi certaines étaient bien plus efficaces que d’autres, pour le même nombre d’enfants.

–C’est clair, partager la même boussole, les mêmes indicateurs, a simplifié le débat politique sur l’équilibre climatique.

-Oui, d’autant que la CCU plaisait aux deux grandes familles idéologiques de l’époque :

  • A la famille politique qui prônait la responsabilité individuelle, elle apportait une mesure décentralisée de la contribution carbone qui laissait chacun libre de sa décision.
  • A la famille politique qui prônait la solidarité collective, elle apportait un objectif commun mesurable et la mesure des contributions à cet objectif.

 

    • Le référendum de 2027, quand les puissants ont mouillé la chemise pour le climat

-Mais il restait un sacré point d’interrogation politique ! On savait où il fallait être en 2050 mais comment être sûr que la somme des contributions de chaque personne, de chaque entreprise, de chaque nation, nous amènerait par miracle à la cible ?

-Oui, il fallait bien une contrainte politique quelque part. L’idée de génie des politiques de l’époque en France a été, malgré l’urgence, de donner sa chance au débat en annonçant quatre années de discussions conclues par un référendum entre les différentes réponses possibles ; et aussi de donner sa chance à la liberté, en annonçant que les contraintes ne joueraient que si, malgré la CCU et la responsabilisation de tous les acteurs, on décrochait de la trajectoire française pour 2050.

-Qu’est-ce qui a convaincu de laisser du temps au débat ?

-Il fallait de toutes façons trois ans pour mettre en place la CCU, et encore 2 ans pour savoir où en était par rapport à la bonne trajectoire : ça laissait tout le temps de discuter et d’arriver progressivement à quatre réponses qui recueillaient un soutien politique suffisant.

Les trois premières réponses étaient bien connues avant même le début du débat.

  • Les interdictions de consommation : fallait-il imposer d’en haut une consommation frugale, interdire les voyages, plafonner le nombre de mètres carrés habitables par personne…
  • La taxation de tous les carbones, au risque de blesser les faibles et de déresponsabiliser les puissants.
  • La taxation des patrimoines pour financer une transition climatique décidée d’en haut.

-Trois réponses à la fois clivantes et complexes… Je comprends mieux pourquoi « Quatrième réponse » est passé dans le langage commun comme la réponse consensuelle à un défi !

-Oui. La Quatrième réponse visait les institutions qui construisent notre avenir par leurs financements : les banques et les très grandes entreprises. J’ai expliqué la semaine dernière comment la CCU permettait aux banques de suivre la contribution carbone de chaque prêt qu’elles accordaient, de chaque projet qu’elles finançaient. Et comment elles cherchaient désormais à améliorer leur contribution carbone globale, trimestre après trimestre. La Quatrième réponse prévoyait qu’en cas de retard sur la trajectoire 2050, les pouvoirs publics imposeraient aux grandes institutions à la traîne d’accélérer, tout en les laissant libres de à qui prêter ou dans quoi investir. On restait dans la logique de la CCU de choix décentralisés et d’intelligence collective.

-La suite, même les plus jeunes comme moi s’en souviennent, parce que c’est dans l’histoire de France et dans l’histoire de la Terre : le raz-de-marée des votes en France en faveur de la Quatrième réponse, son adoption dans la foulée par l’Union européenne et par tous les grands pays, y compris la Chine, le vrai démarrage de la transition climatique…

-Le plus beau, c’est qu’on n’a finalement jamais eu besoin d’activer cette fameuse Quatrième réponse !